Le coup de force permanent d’Ursula von der Leyen exaspère les gouvernements européens
Certains dirigeants ont demandé au nouveau président du Conseil européen, António Costa, de les aider à la contenir.
BRUXELLES — Il y a une limite à tout, y compris pour Ursula von der Leyen.
Les diplomates de haut rang de l’UE sont de plus en plus agacés. Sans doute vont-ils aborder les récentes décisions unilatérales de la cheffe de la Commission européenne entre les réunions des dirigeants de l’Union, jeudi. Parmi elles, le choix de l’Allemande de signer l’accord commercial historique entre l’UE et les pays sud-américains du Mercosur. Une décision que la France, deuxième économie du continent, a abhorrée.
“Von der Leyen est allée plus loin que n’importe quel président de la Commission avant elle dans l’interprétation de son mandat, l’exemple le plus récent est sa décision sur le Mercosur”, estime un diplomate d’un pays européen. L’anonymat lui a été accordé, comme à d’autres, pour pouvoir parler franchement de la présidente de la Commission.
Emmanuel Macron, qui s’est ardemment opposé à l’accord, craignant qu’il nuise aux agriculteurs et suscite leur colère, n’assistera pas au sommet. Car le président est à Mayotte jeudi, l’île ayant été frappée par un cyclone violent. La veille, il a assisté à une autre réunion à Bruxelles.
Ce n’est pas la première fois que von der Leyen s’oppose à l’une des deux grandes capitales européennes, Berlin et Paris. Au début de l’année, Bruxelles a imposé des droits de douane sur les importations de véhicules électriques chinois, une décision qui a hérissé Berlin.
Alors que le nouveau président du Conseil européen, António Costa, dirige son premier sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, les discussions dans les couloirs se concentreront sur la patronne de la Commission. “La véritable conversation portera sur von der Leyen et jusqu’où elle peut aller”, glisse un autre diplomate européen.
Au cours de son premier mandat de cinq ans, von der Leyen a acquis la réputation de prendre des décisions unilatérales, d’outrepasser sa propre fiche de poste et d’exclure les dirigeants de l’UE du processus de décision sur des questions majeures, telles que les sanctions à l’encontre de la Russie. Depuis, elle a renforcé son emprise sur la Commission européenne en diluant les portefeuilles importants et en les répartissant entre plusieurs personnes, de sorte que le mot de la fin sur les domaines politiques clés lui revient. De plus, le duo franco-allemand, en perte de vitesse, se concentre sur ses problèmes internes, ce qui a permis à von der Leyen de faire passer ses choix en dépit des veto de Paris ou Berlin.
“Elle fait passer ses décisions au rouleau compresseur”, commente un responsable européen, faisant référence à l’accord avec le Mercosur et les taxes sur les véhicules électriques.
Besoin de leadership
Ses partisans à Bruxelles, comme le chef du Parti populaire européen (centre droit) au Parlement, ont affirmé que c’est précisément ce qu’un véritable dirigeant européen devrait faire : défendre les intérêts de l’UE avant les intérêts nationaux individuels.
La Commission n’est pas seulement chargée de la politique commerciale, il y a aussi un “besoin de leadership”, a déclaré Manfred Weber, le chef du PPE. “A cet égard, je salue et je soutiens Ursula von der Leyen pour avoir fait preuve de leadership sur le Mercosur.”
Mais d’autres responsables sont furieux, non seulement à propos de l’accord lui-même, mais aussi à propos de la manière de fonctionner de von der Leyen.
“Elle ne peut pas tenir cinq ans comme cela, en faisant un coup à droite, un coup à gauche, ou un coup sur tel pays”, considère l’eurodéputé français Christophe Grudler (Renew). “Elle doit jouer le consensus, elle ne doit pas aller affronter tel ou tel pays, mais plutôt essayer de les convaincre.”
Pour d’autres pays, il est trop délicat de critiquer von der Leyen publiquement. Mais de plus en plus, certains avertissent qu’il y a des lignes rouges à ne pas franchir.
Lors des réunions d’António Costa avec les dirigeants européens avant son entrée en fonction, certains d’entre eux lui ont demandé de rééquilibrer le rapport de force entre la Commission et les Etats membres, d’après deux diplomates de pays européens.
Les relations difficiles entre von der Leyen et le prédécesseur de Costa, Charles Michel, étaient notoires, mais des diplomates de haut rang sont optimistes sur la coopération entre l’Allemande et le Portugais. Tous deux se comprennent bien et la présidente de la Commission était favorable à ce que l’ancien Premier ministre obtienne le poste. Néanmoins, le voyage en solitaire de von der Leyen en Turquie, sans Costa, la semaine dernière, a fait sourciller.
“Le leadership du Conseil européen est en pagaille, et elle s’engouffre dans la brèche. C’est un pari qu’elle est prête à prendre. Mais c’est un pari risqué. Sachant à quel point le Mercosur est sensible avec les Français, c’est presque une humiliation publique”, pointe le premier responsable européen.
D’autres ont souligné que von der Leyen devra s’assurer de garder les pays clés de son côté si elle veut réussir son second mandat.
Le premier diplomate tire la sonnette d’alarme à propos d’un défi majeur qui attend encore la présidente de la Commission : un accord entre les 27 sur le budget septennal de l’UE. Les discussions sur le prochain cadre financier pluriannuel (CFP), dans le jargon bruxellois, s’annoncent plus épineuses qu’auparavant, car l’Union peine à financer à la fois ses dépenses croissantes en matière de défense et la transition écologique.
“Elle a besoin d’un accord sur le CFP pour son héritage à long terme, et cela ne fonctionnera pas sans le soutien d’Etats membres clés.”
Giorgio Leali et Clea Caulcutt ont contribué à cet article depuis Paris. Camille Gijs a contribué depuis Bruxelles. Max Griera depuis Strasbourg. Hans von der Burchard depuis Berlin.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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